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Interview avec Philippe Mihailovich, professeur en Bachelor et MBA chez IFA Paris

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Interview avec Philippe Mihailovich, professeur en Bachelor et MBA chez IFA Paris

By juin, 2019avril 20th, 2022No Comments

Théoricien fondateur de la Brand Architecture et la Brand Stretching, Philippe Mihailovich, est un expert du management des marques de luxe. En tant que professionnel confirmé, il intervient régulièrement auprès des étudiants d’IFA Paris (notamment en Bachelor et MBA) et co-dirige certains projets au sein de notre école de mode. C’est à l’occasion de l’étude du repositionnement de la marque Fusalp que nous avons choisi de faire plus grandement connaissance avec lui.

IFA Paris : Philippe, depuis plus de 25 ans, vous êtes LE spécialiste du Branding dans l’univers du luxe, et êtes à la tête du cabinet de consulting HAUTeLUXE ? En quoi consiste exactement votre métier ?

Philippe : Je ne prétendrai certainement jamais être LE spécialiste des marques de luxe, mais je peux prétendre avoir été l’un des premiers à faire des recherches et à créer des modèles théoriques qui peuvent être utilisés dans l’industrie au lieu d’une seule catégorie comme la haute couture. Ma spécialité est avant tout le développement et la refonte des marques – un domaine que l’on appelle aujourd’hui « architecture de marque ».

Les architectes de marque analysent et modifient au besoin les fondements et l’ADN de la marque, sa philosophie, son univers et sa vision à long terme. Nous examinons les principes de la marque, l’identité de la marque  » story-building, story-telling et story-doing « , l’image de marque, la raison pour laquelle les clients aiment et respectent les marques ou préfèrent leurs concurrents, etc. Sur la base de nos résultats, nous élaborons des propositions stratégiques pour des maisons de luxe ou même pour des individus talentueux qui sont en phase de démarrage.

Ce qui est formidable dans le fait d’enseigner à IFA Paris, c’est qu’on inculque ce processus à nos étudiants et qu’on attend d’eux des solutions stratégiques et ingénieuses aux défis complexes mais réels qu’on leur pose. Ils ne seront jamais en mesure de trouver des réponses sur le net parce qu’ils sont confrontés à des situations réelles, à des problèmes dont font face les marques et pour lesquelles les patrons sont eux-mêmes en quête de solutions propres à leur marque. C’est une excellente chose pour les maisons de marque qui non seulement font des économies en évitant les grandes agences de marque, mais sont aussi plus susceptibles de se voir proposer de nouvelles orientations interculturelles à considérer. Pour les étudiants, c’est vraiment génial d’acquérir une telle expérience et encore plus gratifiant si l’entreprise choisit d’appliquer leurs recommandations, ils pourront alors ajouter cela à leurs CV !

IFA Paris : Qui sont vos clients ?

Philippe : Aujourd’hui, je travaille avec deux grandes maisons de joaillerie, un centre commercial et une grande entreprise chinoise qui cherche à investir ou à acquérir plus de maisons de luxe françaises ou italiennes. Demain, je pourrais travailler sur un projet pour une nouvelle petite marque de maroquinerie ou un nouvel hôtel. J’envisage également de revenir à la création de mes propres marques pour des besoins de licences, comme je le faisais à Londres et à New York. Je suis en train de rater ces jolis paiements de redevances. Curieusement, l’un des concepts est quelque chose que j’ai conçu uniquement pour l’enseignement et que j’utilise depuis des années, mais comme personne ne l’a jamais réalisé, pas même un ancien étudiant, j’ai donc décidé de m’y lancer pour de vrai.

IFA Paris : Ces dernières années, quelles ont été les évolutions les plus significatives dans la stratégie des marques de luxe ?

Philippe : Nous voyons toutes les maisons de luxe se muer en un marketing d’omnicanal, des marques de luxe plus viables voir le jour dans les économies émergentes ; les italiens s’accaparent davantage de marques françaises (comme Lancel et Roger Vivier) pour avoir plus de succès en Asie, les coréens et chinois continuent également leurs conquêtes des marques Française, en créant avec dynamisme leurs propres  » luxe accessible  » et les grandes marques de luxe pour réussir dans la capitale française.

Les concepts stores haut de gamme et leurs concepteurs continuent de signer chez FarFetch et maintenant que Harvey Nichols a aussi signé, nous pouvons imaginer quelques grands magasins français suivre. Le fait que Chanel achète chez FarFetch est également intéressant car c’est plus pour des raisons autres que le commerce électronique. Wechat et Alipay ont réussi à s’établir au-delà des frontières chinoises et l’initiative Belt and Road va certainement changer la donne.

Philippe Mihailovich à IFA Paris

Philippe Mihailovich à IFA Paris

En outre, les stratégies sur le contenu de marque (pour le partage et non pour la vente) deviennent de plus en plus sophistiquées, les acteurs influents deviennent journalistes ou spécialistes des relations publiques internes et les clients sont de plus en plus avertis dans les moindres détails. Beaucoup en savent beaucoup plus sur les maisons de luxe que les gens qui travaillent pour ces maisons. Tout change de plus en plus vite et les Millenials semblent enfin s’éloigner de la  » rue « , si bien que les marques les plus prestigieuses doivent faire des efforts à tous les niveaux, des plus luxueuses aux plus sophistiquées. Ce que je trouve étrange, c’est que les Millenials disent que les marques doivent abandonner le cuire au profit du végétalien, mais qu’eux ne deviennent pas végétaliennes eux-mêmes. Ils veulent que les marques fabriquent tout, y compris la haute couture, sans distinction de sexe, mais sans pour autant boycotter les palaces appartenant au Sultan de Brunei. Les maisons de luxe doivent s’adapter à ces déclarations contradictoires.

Dans le domaine de la haute joaillerie, de nombreuses  » maisons « , telles que Cartier et Boucheron, ont complètement rénové leurs maisons, tout comme le font les palaces, afin de rester dans le coup. Ces bijoutiers ont littéralement ramené le concept de  » maison  » en restaurant et en rouvrant des appartements privés dans leurs immeubles pour les louer pour la nuit comme cela se faisait il y a 100 ans. L’hôtel Ritz est toujours prêt à livrer des  » hamburgers de haute qualité  » et du champagne qu’il peut livrer d’un simple pas sur la place Vendôme. Il ne fait aucun doute que tous ceux qui ont une influence sur les réseaux sociaux font la queue pour profiter de cette  » sensation d’immersion « .

IFA Paris : Au travers vos préconisations et publications sur le site HAUTeLUXE, vous contribuez fortement à ce processus de transformation et mettez particulièrement l’accent sur l’importance du story telling dans le milieu du luxe. Comment expliquez-vous que le marketing émotionnel soit devenu un levier de développement inéluctable ?

Philippe : En fait, nous n’avons pas mis à jour le site Web depuis des années parce que ce n’est pas la façon dont nous attirons des clients, mais lorsque l’entreprise fut créée, beaucoup croyaient que faire de la publicité était simplement un conte et bien sûr cela est beaucoup plus complexe que ça. Je suis ravi de voir à quelle vitesse l’industrie du luxe s’est développée de cette manière et depuis qu’Alessandro Michele a redynamisé Gucci, chaque PDG dans le domaine du luxe est maintenant plus que jamais soucieux de créer un univers de marque complet. Kering parle maintenant de leurs « maisons et univers » et c’est un bon signe. Les maisons qui n’ont pas développé leur propre univers de marque apprennent rapidement à le faire. Le luxe a toujours été avant tout émotionnel et les maisons qui n’ont pas pris la peine de développer leur univers se retrouvent simplement en train de faire des choses que d’autres ont faites avant elles. A l’ère du numérique, un tel phénomène ne fait qu’accentuer le manque de respect à l’égard d’une maison de luxe.

L’industrie du luxe est devenue beaucoup plus compétitive et le défi de surprendre et de faire de la publicité de bouche à oreille au-delà des frontières est de plus en plus difficile à relever. Nous avons parcouru un long chemin depuis le temps de la simple commercialisation de produits et des marques qui n’étaient que des noms et des logos.

IFA Paris : La recherche de connexions émotionnelles supplante-t-elle les grands principes du marketing traditionnel ? Est-ce un concept à part entière ou une branche complémentaire ?

Philippe : Les achats de luxe ont toujours été des achats émotionnels, comme c’est le cas avec l’art contemporain, mais de nos jours, l’émotion de voir ou d’acquérir une belle création ne suffit plus. Je parle souvent des 5E – Expérience, Exclusivité, Éthique et Engagement pour libérer les Émotions – comme un complément aux P du Marketing, mais en réalité, dans le Luxe, le Marketing est considéré comme un monde vulgaire et beaucoup des principes mis en œuvre sont exactement l’opposé des 4P dont on a l’habitude d’entendre parler dans les marchés de masse. Même le mot « marque » n’est pas vraiment utilisé, sauf s’il s’agit de biens produits industriellement. En français, il y a une distinction claire entre les mots « marque » pour les produits industriels et « griffe » pour les créations de luxe (notez que j’évite d’utiliser le mot « produit »).

IFA Paris : Le poids des traditions perdure dans l’industrie du luxe. Ce critère modifie-t-il l’approche de la fusion des sens et des émotions ?

Philippe : Oui en grande partie grâce aux canaux numériques, mais le luxe doit toujours être noble et ne peut jamais devenir aussi convivial qu’un Starbucks. Certaines pratiques sont même attendues dans le sens où c’est la marque de luxe qui doit fixer les standards et non le client. La marque de luxe doit apporter sa propre culture et ne doit jamais être prête à vendre à tout prix et à tous les prix. Je pense que le vrai problème est que ce que nous appelons une  » marque de luxe  » en général est un modèle hybride de marketing de masse combiné de luxe, ce qui engendre beaucoup de confusion. De nos jours, il est difficile de faire la différence entre les marques grand public de luxe – qui étaient autrefois de véritables marques de luxe – et un Apple Store. Souvent, les marques grand public séduisent leurs clients de manière beaucoup plus émotive que la marque de luxe – Red Bull par exemple. Les marques de luxe doivent trouver leur propre façon unique d’apporter des expériences sensorielles et certaines le font par le biais d’expositions dans les musées plutôt qu’en magasin ou en ligne seulement.

IFA Paris : Quels sont les 3 ingrédients d’un story telling impactant ?

Philippe : Il y en a plus de trois, mais les trois principaux sont la surprise, l’authenticité et l’importance.

IFA Paris : Le baseline de votre logo indique  » Tomorrow’s Luxury Brand Strategies « . Demain, quel sera selon vous, le cœur de métier du marketeur de luxe ?

Philippe : En tant qu’idéaliste, je dirais que  » l’âme  » devrait être au cœur de la marque, mais en réalité, en tant qu’emploi, le marketing des marques de luxe consistera à développer et gérer des stratégies omnicanal pour attirer des clients vers un lieu bien précis. Plus la marque vise à attirer un grand nombre de personnes, plus Big Data jouera un rôle fondamental. Pour les artistes ou les maisons de luxe, cependant, les activités resteront très humaines grâce à des liens très personnels. Dans certains cas, plus l’artiste ou la maison reste secrète et difficile d’accès, plus ils seront demandés. Les expositions muséales, les prix remis par l’industrie et les clients célèbres – de vrais clients qui achètent des produits – seront toujours plus nombreux. On en voit d’autres exemples dans la haute joaillerie et la haute horlogerie tels que JAR, Wallace Chan ou Thomas Prescher.